Introduction
« La nécessité des services de garde à l’enfance n’a jamais été aussi évidente. »
- Justin Trudeau, premier ministre1
Jamais auparavant les services de garde à l’enfance n’ont été aussi vulnérables et essentiels.
Il aura fallu une crise de santé publique pour que le rôle essentiel des services éducatifs et de garde à l’enfance (SEGE) soit pleinement reconnu et que la fragilité de leur prestation au Canada soit révélée.
Les SEGE étaient fragiles au pays avant la pandémie parce qu’ils sont assujettis aux règles du marché, qu’ils sont fragmentés et sous-financés. Pour assurer leur fonctionnement, la plupart des services de garde réglementés dépendent principalement de la contribution des parents.
Leur main-d’œuvre à prédominance féminine gagne des salaires modestes, et toute hausse de la rémunération se traduit par une augmentation des frais de garde, au même titre que toute amélioration de la qualité des services offerts. Le recrutement et la rétention d’éducatrices et d’éducateurs à la petite enfance qualifés est donc une préoccupation grave et constante.
La COVID-19 a ajouté une autre dimension aux défis auxquels le secteur des SEGE est confronté. Les gouvernements provinciaux et territoriaux ont presque tous ordonné la fermeture des services de garde durant la pandémie, ne conservant que des services limités destinés au personnel essentiel. Ils ont en outre adopté des approches différentes et changeantes pour soutenir ce secteur pendant le confinement.
Un sondage réalisé récemment auprès des garderies et CPE au Canada révèle que 70 % d’entre eux ont mis à pied la totalité ou une partie de leur personnel durant la pandémie, et que plus du tiers des services de garde au pays étaient incertains quant à leur réouverture.
Le secteur des SEGE pourrait ainsi perdre des milliers d’éducatrices et d’éducateurs, qui ne retourneront pas travailler à faible salaire lorsque de nouvelles possibilités d’emploi se présenteront.
Le temps est venu de mettre à jour le plan du Canada en matière de services éducatifs et de garde à l’enfance.
Il est essentiel de bâtir un système de SEGE accessible, abordable, inclusif et de qualité, au sein duquel le personnel sera rémunéré équitablement, si le Canada entend se forger un avenir juste et résilient, et devenir le meilleur endroit possible pour les enfants.
Des millions de travailleurs et de travailleuses ont perdu leur emploi et leur revenu à cause de la pandémie. Pour être viable, la relance économique doit reposer sur leur pouvoir de retrouver leur capacité de gain. Mais pour être en mesure de recommencer à travailler, les parents de jeunes enfants doivent avoir accès à des services de garde abordables qui répondent à leurs besoins variés. Et cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les mères, qui ont été touchées par la pandémie de façon disproportionnée.
Comme l’a indiqué une économiste : « Il ne saurait y avoir de relance sans un retour des femmes sur le marché du travail, mais ce ne sera pas possible si elles n’ont pas accès à des services de garde.2 »
Les preuves qui justifient la raison d’être et la valeur d’un système universel de garde d’enfants ont été bien établies au cours des dernières décennies3, et un tel système est maintenant la norme dans de nombreux pays. Même si les pays dotés de systèmes universels de garde d’enfants continuent de lutter pour remédier à l’inégalité d’accès des populations moins favorisées, les faits démontrent qu’un tel système universel constitue la meilleure approche pour faire progresser l’équité en matière de garde d’enfants.
Puisque la pandémie a eu des conséquences disproportionnées sur les familles aux prises avec des obstacles systémiques divers et souvent interdépendants, il est d’autant plus urgent de mettre en place un système universel au Canada, qui rendrait les SEGE « accessibles et abordables pour toutes les familles et qui inclurait tous les enfants, sans égard à leurs capacités, à leur situation économique, culturelle ou linguistique, à l’endroit où ils vivent au pays ou au fait que leurs parents sont sur le marché du travail ou non, ou qu’ils étudient ou travaillent selon des horaires non conventionnels »4.
Le gouvernement fédéral doit faire preuve de leadership et investir rapidement et de façon ambitieuse pour accélérer la transition d’un système assujetti aux règles du marché à un système public entièrement géré et financé par l’État.
Vers une relance équitable
Le plan de relance de l’Alternative budgétaire pour le gouvernement fédéral prévoit la mise en œuvre du plan actualisé pour des services de garde abordables pour tous5, qui réclame du gouvernement canadien une approche en deux phases pour l’après-pandémie de COVID-19 :
- Pour la première phase, le plan prévoit 2,5 milliards de dollars pour les SEGE sous la forme de nouveaux paiements de transfert fédéraux aux provinces et territoires ainsi qu’aux communautés autochtones afin de soutenir la réouverture sécuritaire complète des services de garde réglementés dans le cadre de la relance économique.
- Pour la deuxième phase, le plan propose des investissements de 2 milliards de dollars dans les SEGE en 2021-2022. Ce montant de base augmenterait de 2 milliards de dollars chaque année subséquente, pour s’établir à 4 milliards en 2022-2023, à 6 milliards en 2023-2024, et ainsi de suite. Les fonds fédéraux serviraient à transformer le système actuel en un système de SEGE entièrement financé par l’État, en partenariat avec les provinces, les territoires et les gouvernements autochtones.
- Le gouvernement fédéral exigerait des provinces et territoires qu’ils utilisent ces fonds pour améliorer de façon mesurable l’accessibilité, l’abordabilité, la qualité et le caractère inclusif des services de garde.
- En outre, le gouvernement canadien créerait et financerait un secrétariat fédéral des SEGE pour diriger et coordonner les travaux du gouvernement dans ce domaine.
- Enfin, le gouvernement déposerait une loi au Parlement enchâssant l’engagement du Canada à assurer à tous les enfants le droit à des services éducatifs et à des services de garde de grande qualité. À l’instar de la Loi canadienne sur la santé, cette loi définirait des principes, des conditions et des mécanismes de reddition de comptes pour les paiements de transfert versés aux provinces et territoires.
Phase 1 (jusqu’au 31 mars 2021)
Le gouvernement fédéral s’est engagé à verser, d’ici la fin de 2020, 14 milliards de dollars sous forme de nouveaux paiements de transfert aux provinces et territoires pour les aider à relancer l’économie de façon sécuritaire. Le premier ministre Trudeau affirme que ces paiements fourniront des fonds aux services de garde afin que « chaque parent sache que son enfant a accès à une place sécuritaire ».
Dans le cadre de la première phase du plan actualisé, en vertu de l’Alternative budgétaire pour le gouvernement fédéral, 2,5 milliards de dollars de ces paiements de transfert promis seraient attribués aux SEGE. Les provinces et territoires utiliseraient ces fonds pour augmenter, et non pour remplacer, le financement public que reçoivent actuellement les SEGE. Les ententes conclues avec chaque province et territoire feraient en sorte que les fonds fédéraux soient utilisés pour :
- rouvrir les services de garde de façon sécuritaire;
- rétablir et augmenter le nombre de places en services de garde réglementés qui existaient avant la pandémie;
- hausser les salaires et les avantages sociaux des personnes œuvrant en SEGE afin qu’elles retournent travailler dans ce secteur et y demeurent;
- stabiliser les frais de garde et les réduire dans la mesure du possible;
- offrir des services de garde provisoires à plein temps pour les enfants d’âge scolaire de 12 ans et moins jusqu’à la réouverture des écoles.
Le secrétariat fédéral, dont le mandat serait défini par le premier ministre du Canada, serait créé durant cette première phase. Il aurait pour mission de conseiller, de surveiller et d’évaluer la mise en œuvre de la phase 1 du plan, puis de planifier la phase 2, y compris l’élaboration de stratégies globales en matière de main-d’œuvre et de croissance.
Phase 2 (à compter du 1er avril 2021)
Le plan de relance de l’Alternative budgétaire pour le gouvernement fédéral prévoit l’augmentation de la contribution fédérale aux SEGE à 2 milliards de dollars en 2021-2022 et l’ajout de 2 milliards chaque année subséquente, réservant 20 % du total annuel au financement de la mise en œuvre du Cadre d’apprentissage et de garde des jeunes enfants autochtones6.
Au cours de cette deuxième phase de la création d’un système de SEGE au Canada, il s’agirait d’accroître l’offre des services de garde réglementés, leur abordabilité et leur qualité, notamment par l’adoption d’une stratégie de la main-d’œuvre et l’application de connaissances exemplaires fondées sur des données probantes.
Pour progresser sur tous ces fronts, le gouvernement fédéral négocierait des ententes de financement bilatérales avec chaque province et territoire. Selon ces ententes, les fonds fédéraux devraient être utilisés pour améliorer la gestion publique des services de garde et accroître les subventions de fonctionnement (du côté de l’offre) versées aux SEGE.
C’est au cours de la phase 2 que serait déposée au Parlement une loi fédérale sur les SEGE enchâssant l’engagement du Canada à assurer à tous les enfants des services éducatifs et des services de garde de grande qualité. Cette loi définirait des principes, des conditions et des mécanismes de reddition de comptes pour les paiements de transfert versés aux provinces et territoires.
Conclusion
La COVID-19 a clairement démontré qu’il est temps d’actualiser le plan du Canada pour les SEGE. Le gouvernement fédéral doit faire preuve de leadership pour accélérer la création d’un système accessible, abordable, de qualité et inclusif, au sein duquel les éducatrices et éducateurs de la petite enfance seront rémunérés de façon équitable. Il est urgent d’agir non seulement pour éviter l’effondrement des SEGE, mais aussi pour faire progresser l’approche universelle qui permettra d’en garantir l’accès à tous les parents – y compris les femmes à faible revenu d’origine autochtone et racialisée – afin qu’ils puissent retourner sur le marché du travail pendant les phases de reprise et de reconstruction de cette pandémie. Les recherches montrent que les investissements dans les SEGE sont rentables puisqu’ils permettent aux femmes de s’intégrer au marché du travail rémunéré.
En outre, il est essentiel pour le bien-être des enfants de leur offrir des occasions de se socialiser, d’autant plus que beaucoup d’entre eux ont été isolés en raison du confinement dû à la pandémie de COVID-19.
Notes
- Press J., et T. Wright, « Feds quietly probe expanded role for child care in post- pandemic recovery », 18 mai 2020, CTVNews. https://www.ctvnews.ca/health/coronavirus/ feds-quietly-probe-expanded-role-for-child-care-in-post-pandemic-recovery-1.4943770
- Yalnizyan, A., « No recovery without a she-covery », présentation au Comité permanent des finances de la Chambre des communes, 5 juin 2020. https://atkinsonfoundation.ca/atkinson- fellows/posts/no-recovery-without-a-she-covery/
- Anderson, L., M. Ballantyne, et M. Friendly, Child care for all of us: Universal child care by 2020, Ottawa, Centre canadien de politiques alternatives, 2016. https://www.policyalternatives. ca/sites/default/files/uploads/publications/National%20Office/2016/12/Child_Care_AFB2017_ technical_paper.pdf
- , p. 7.
- https://timeforchildcare.ca/a-strategy-for-recovery-making-affordable-child-care-for-all-a- reality/
- L’allocation de 20 % du financement fédéral aux communautés autochtones est conforme à ce que prévoit le budget 2016 (p. 114), qui précise que le gouvernement canadien compte « investir 500 millions de dollars en 2017-2018 pour appuyer l’établissement d’un cadre national pour l’apprentissage et la garde des jeunes enfants. De cette somme, 100 millions seraient consacrés à l’apprentissage et à la garde des jeunes enfants autochtones dans les réserves ». https://www.budget.gc.ca/2016/docs/plan/budget2016-pdf